Tartuffe de Molière.
Résumé
L’auteur nous fait pénétrer au sein d’une
famille honnête et paisible, tout à coup troublée et désunie par la seule présence d’un étranger hypocrite et faux dévot. Tartufe, qui a su s’emparer de l’esprit
de la grand-mère, Mme Pornelle, et de son fils, Orgon, qui donne asile au pieux
personnage.
Toutefois Tartufe ne jouit pas de la même faveur auprès du reste
de la famille Damis ; l’appelle un « pied plat » et la suivante Dorine,
scandalisée de l’empire qu’il a pris sur son maître, s’écrie :
« Certes, c’est une chose aussi
qui scandalise
De voir qu’un inconnu céans s’impatronise ;
Qu’un gueux, qui, quand il vint n’avait
pas de souliers,
Et dont l’habit entier valait bien six
deniers,
En vienne jusque-là que de se méconnaître,
De contrarier tout et de faire le
maître. »
Cléante, beau-frère d’Orgon, essaye vainement
de le détromper sur le caractère du personnage et cherche à l’éclairer sur la
différence qui existe entre la vraie et la fausse dévotion.
Son langage, plein de bon sens et de
vérité, ne persuade pas Orgon. Son aveuglement à l’égard de Tartufe va toujours croissant. Il lui promet sa fille en
mariage, lui confie un secret d’État qui peut le compromettre gravement ainsi qu’un
de ses amis, enfin il déshérite son propre fils, qui a tâché de démasquer
Tartufe, et il fait au faux dévots donation de toute sa fortune. C’est Elmire,
femme d’Orgon, qui se charge alors d’ouvrir les yeux de son mari. Elle lui fait
juger par ses propres oreilles de l’indignité et de l’infamie de Tartuffe.
Orgon, convaincu enfin de la perversité de cet homme, l’accable d’injures et
lui ordonne de sortir de sa maison.
« La maison est à moi, c’est à
vous d’en sortir », s’écrie Tartuffe, en montrant l’acte de donation. Mais
ce n’est pas tout la liberté d’Orgon est aussi compromise que sa fortune, car
le traître a dévoilé le secret qui lui avait été confié ; il amène
lui-même l’exempt et semble triompher de tous points, lorsqu’il est soudain
arrêté et jeté en
prison par ce même exempt chargé secrètement par le roi de punir Tartufe et de
remettre la famille d’Orgon en possession de tous ses biens.
Tartuffe est le chef-d’œuvre
de Molière.
Cette pièce a d’abord le mérite de l’intérêt.
Toute cette famille, en proie à un personnage horrible, nous inspire de la
sympathie : nous y voyons une femme aimable et sage, un fils impétueux,
mais honnête et franc, un frère sensé et respectable, une position honorable.
Ils étaient heureux et unis, le malheur fond chez eux dès que l’imposteur y a mis
les pieds ; c’est tout un monde bouleversé : affections, fortune,
honneur, ils sont atteints de tous les côtés.
Quelle vérité dans la peinture des
caractères ! Celui de Tartuffe surpasse tout par la profondeur de l’observation.
Quel art de nous le montrer, dès l’exposition, par les sentiments qu’il excite
chez tous les membres de la famille, tout en attendant le troisième acte pour
le faire paraitre ! Comme dès qu’il entre en scène, il précipite l’action !
Et Orgon est aussi parfait que Tartuffe lui-même ! C’est la dupe
idéalisée. Et tous les personnages, jusqu’à la vieille madame Pernelle, aussi infatuée que son fils, et
Dorine, la suivante à la langue affilée, sont des chefs-d’œuvre en leur genre.
On a blâmé le dénouement comme fondé
sur des moyens étrangers à l’action. En cela on a oublié que cette scélératesse
est si criminelle qu’elle exige un châtiment plus sévère que la simple
expulsion de la famille, et qu’elle est si dangereuse qu’il faut pour la briser
l’action d’une force supérieure.
Au point de vue moral, Tartuffe excita de vives controverses entre
les mondains et les gens sérieux. Bourdaloue s’arma contre lui de sa
dialectique ; Bossuet, de son impétueuse éloquence. On fut injuste envers
Molière : il n’avait pas l’intention d’attaquer la vraie religion, et les hommes
religieux l’auraient dû sentir. Le portrait qu’il trace est vrai ; l’hypocrisie
reçoit une flétrissure méritée, et le temps comportait une pièce de ce genre.
Mais c’est une question de savoir jusqu’où peut aller le langage de la piété sur le théâtre, et dans
une telle bouche. Chez les âmes religieuses, il y aura toujours un mouvement
douloureux en entendant profaner l’expression de ce qu’elles respectent. Tartuffe, sans doute, est le coup le plus dangereux
porté, non à la religion, mais aux attitudes religieuses. Cependant, il faut en
convenir, le nombre des apologistes du Tartuffe
serait moins grand s’il se bornait à celui des ennemis de l’hypocrisie. Bon
nombre de ceux qui l’ont applaudi haïssaient quelque autre chose encore que l’hypocrisie.